Les soft-skills sont souvent décrites comme essentielles en matière de RH. Elles portent en elles la promesse d'une prise en compte de l'individu au-delà du CV et l'espoir d'une réussite possible pour tous. Le plafond de verre se fissure grâce à elles et leur importance grandit au fur et à mesure que notre avenir se fait incertain. De par leur nature leur appréciation peut sembler subjective et leurs contours mal définis. Jean Pralong, Professeur de GRH, accepte de se livrer à une série de questions insolites...

Les soft-skills sont-elles solubles dans le politiquement correct ? Le marketing ?

Ce n’est pas tellement le politiquement correct qui empoisonne la question. C’est plutôt la confusion entre les soft-skills et toute une gamme de caractéristiques individuelles avec lesquelles on les confond. Commençons par le début. Dans soft-skills, il y a skill. Ce sont donc des compétences, c’est-à-dire des caractéristiques internes, stables dans le temps, et qui déterminent des performances. La frontière théorique est simple à dessiner : d’un côté, des caractéristiques qui ont un impact sur les performances : des compétences. De l’autre, des caractéristiques qui n’ont pas d’impact sur les performances : appelons ça la diversité.

Reste que l’impact d’une caractéristique sur les performances est parfois délicat à évaluer : il faut de grands échantillons, des études longitudinales et des modèles statistiques sophistiqués. Paradoxalement, le cas de la personnalité est bien établi. On sait que la personnalité n’est en rien liée à la performance. C’est pourtant avec des questionnaires de personnalité que beaucoup d’entreprises croient évaluer objectivement les soft skills.

Un sujet quand même qui rejoint la question du politiquement correct : de mon point de vue, les procédures de recrutement sont encore trop normatives. Je veux dire par là que beaucoup de recruteurs, consciemment ou non, évaluent un candidat par sa capacité à respecter les règles d’un exercice de style codé. L’habillement, la façon de parler impliquant une certaine soumission, par exemple, sont des comportements attendus des candidats. Il ne faudrait pas qu’on assimile soft skills à la politesse ou à ces pratiques normatives. C’est parfois tentant, notamment pour éliminer un candidat, de généraliser.

Je n'ai pas les bons soft-skills doit-on me reconditionner ?

Il ne s’agit pas de reconditionnement, mais d’apprentissage. C’est encore une différence entre les compétences et la personnalité. Une compétence se développe ; elle peut même se perdre si on ne l’utilise pas. La personnalité est stable après la fin de l’adolescence.

Y a-t-il une hiérarchie des soft skills ? Certaines sont-elles plus bankable ? 

Ici encore, il s’agit de compétences qui doivent se révéler dans la confrontation avec des situations professionnelles. Tout dépend donc de ces situations, ou des métiers.

Je ne me connais déjà pas moi-même comment se fier à 8 mn de test ?

Justement pour cela ! Le test est là pour faire émerger une information méconnue. Si les individus se connaissaient bien, il n’y aurait pas besoin de tests. Nos utilisateurs s’étonnent parfois de ne pas reconnaitre leurs candidats ; ou certains candidats sont surpris de ne pas de reconnaitre dans les résultats. C’est plutôt une bonne nouvelle : en mettant au jour une information inattendue, nouvelle ou surprenante, nous prouvons notre utilité. Un test qui n’apprend rien ne sert à rien.

Vous proposez une approche prédictive quel en est le bon usage ?

Nous avons le privilège de posséder des données massives : nous suivons près de 200 000 personnes depuis près de 10 ans. Plus précisément, nous mesurons les soft skills et les performances de ces individus tous les 6 mois. Nous en retirons une information essentielle : quelles soft skills déterminent les performances dans chaque métier. Nos utilisateurs découvrent ces soft skills, évaluent leurs candidats selon ce modèle et peuvent les comparer. Plus le candidat possède les soft skills nécessaires, plus ils ressemblent aux plus performants, et plus grandes seront leurs chances de réussir. Il s’agit de chances au sens statistique : plus grande sera la probabilité qu’ils réussissent.

Trop de transparence ne nuit-elle pas à l'intimité ?

Le recrutement, par nature, est intrusif. C’est la danse entre deux interlocuteurs qui savent peu de choses de l’autre. La décision est nécessairement prise sur la base d’informations à collecter. L’enjeu est que ces informations soient pertinentes et fiables. Pertinentes, pour qu’elles soient bien liées aux déterminants des performances attendues. Fiables, pour que les moyens utilisés soient justes et non biaisés. Cet enjeu concerne les deux parties : le recruteur veut le meilleur candidat, et le candidat veut être recruté là où il va réussir. Pour cela, il faut bien lever quelques voiles…