Les compétences prolifèrent-elles vraiment comme les algues vertes ?
L’orientation étant ce qu’elle était au siècle passé j’ai mis un moment à trouver ma voie et je me suis livré à un parcours académique pour le moins diversifié. Au fil des expériences, j’ai travaillé à l’international, j’ai vu arriver internet, j’ai créé 4 sociétés et j’ai, bien évidemment, dû acquérir des compétences nouvelles (renseignement économique, INCOTERMS, TQM, UML, ...).
Pourtant, je ne me suis jamais senti submergé par une vague de nouveautés et j’ai gardé le sentiment que mes lacunes relevaient plus de savoirs fondamentaux éprouvés que de sciences entièrement inédites.
Mon propos n’est bien sûr pas de nier l’émergence de compétences nouvelles. Les progrès scientifiques actuels dans le seul domaine de l’énergie ou de la médecine, qui occupent tous les esprits, suffirait à balayer cette tentative d’un revers de main.
Ce sentiment m’amène néanmoins à m’interroger sur l’importance parfois donnée à l’émergence de compétences nouvelles, à l’existence éventuelle de biais opportunistes et à l’impact négatif qu’une croyance aveugle dans ce phénomène peut avoir sur l’apprentissage des savoirs.
Pour illustrer mes propos j’aimerais aborder le sujet de l’IA que j’ai côtoyé pendant quelques années. Je ne suis pas data scientist et je n’ai qu’une connaissance diffuse des sciences algorithmiques. Pourtant, cela m’a rarement géné et la fréquentation d’une science visant à imiter, soutenir voire remplacer l’humain m’a surtout poussé vers les sciences humaines.
En effet, si les progrès constants de l’algorithmique nous éclairent sur la question du comment fabriquer des intelligences artificielles c’est l’examen de débats plus antiques sur la définition de l’intelligence, la perception de la vérité, le but de notre existence ou l’analyse diachronique des mots travail et emploi qui nous aident à répondre à la question plus importante du pourquoi.
De façon plus générale, des innovations bien réelles peuvent être accompagnées de rumeurs chaotiques, sources de confusion et j’aimerais souligner 3 écueils auxquels la croyance exagérée dans l’émergence de compétences nouvelles peut nous mener.
L’égarement
La nouveauté fait vendre ! S’il convient de tempérer cette injonction, nul ne peut nier qu’elle a acquis dans nos sociétés une grande matérialité. Que l’on parle de musique, de mode, de fiction ou de management, le recyclage est devenu une source inépuisable de croissance et le débat sur les compétences émergentes est devenu pour certains un véritable fonds de commerce.
L’apathie
Si le doute est souvent salvateur c’est aussi un inhibiteur qui peut mener à la paralysie. A trop croire aux compétences émergentes on en vient à sous-estimer ses capacités propres et celles de l’organisation à résoudre des problèmes. Il peut même en résulter une obsession du futur et une tendance à procrastiner fort bien décrites par Jean-Yves Ponce dans son livre Concentraction - Améliorez votre attention dans un monde hyper connecté (Broché – 18 juillet 2019)
La superficialité
L’Ode à la nouveauté rejoint souvent une forme de pensée magique. A grands renforts de slogans et autres incantations, elle flatte notre désir messianique et nous enferme dans l’idée que des problèmes complexes seront résolus par quelques expédients jusqu’ici inconnus. Elle nous distrait ce faisant de l’examen approfondi de la réalité et de la confrontation au terrain pourtant indispensables.
Ne nous trompons pas. Le doute, l’autocritique et l’analyse des tendances émergentes sont des exercices indispensables qui doivent, d’ailleurs aller puiser bien au-delà des frontières, industrielles et nationales.
Pour autant l’arbre ne doit pas cacher la forêt.
L’univers des savoirs est immense et la somme des talents déjà présents au sein d'une entreprise souvent méconnue. Plutôt que de courir après la nouveauté, au risque d’aboutir à une GPEC balkanisée et indéchiffrable, il me paraît donc primordial de se recentrer, d’approfondir les sujets et, lorsque l’entreprise est sous pression, de rechercher d’abord le savoirs communs fondamentaux, comme la pédagogie et la modélisation, qui permettront aux collaborateurs d’accroître leur adaptabilité.
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