Détection automatique des compétences par l'IA : peut-on s’y fier ?
Détecter automatiquement les compétences des candidats et des collaborateurs est le rêve de tout DRH. Au travers de cette pensée magique transparait la promesse bien concrète d'une connaissance quasi encyclopédique et d'une valorisation des actifs humains et immatériels de l'entreprise. D'un point de vue opérationnel, cette cartographie des compétences est le socle indispensable à la création de systèmes intelligents capables de suggérer recrutements, formations et mobilités. Il s'agit en somme d'une étape incontournable pour accroître la compétitivité et les performances des entreprises.
Mais que se passe-t-il lorsque nous poussons cette idée encore plus loin ? A l'heure où fleurissent les solutions de détection automatique des compétences, sommes-nous certains de pouvoir faire confiance à une intelligence artificielle pour mener ce projet à bien ?
La réponse n'est pas évidente. Commençons par les bonnes nouvelles.
La détection automatique des compétences dans un CV grâce à l’IA fonctionne
Les systèmes de traitement du langage naturel (NLP) ont atteint une réelle maturité lorsqu'il s'agit d'identifier des mots comme étant probablement des compétences dans un CV.
On peut donc s'attendre à ce que ces systèmes extraient l'essentiel des termes qui ressemblent à des compétences dans un CV classique, avec un faible taux d'erreur. Sur des CV graphiques ou en colonne il faudra se tourner vers des solutions qui intègrent le Computer Vision.
Par ailleurs, différentes techniques dites de clustering (vecteurs de mots par exemple) permettent de rattacher les termes identifiés à des référentiels structurés. Ceci est indispensable pour exploiter le cadastrage des compétences de manière fiable. Ces mêmes techniques permettent de créer des référentiels ex nihilo. Cependant, il est préférable dans la mesure du possible de choisir des solutions basées ou alignées sur les référentiels officiels tels que ROME et ISCO.
Lorsqu'il s'agit enfin de détecter des compétences, connaissances et domaines d'expertise dans des textes entièrement libres tels que des emails, des articles voire des conversations, certains acteurs sont parvenus à des résultats intéressants en choisissant de se spécialiser dans un domaine précis. C'est le cas par exemple de la société néerlandaise Zeta Alpha qui est capable de décortiquer et cartographier de grands volumes de publications autour de l'IA avec une efficacité redoutable.
Hélas, malgré des résultats tout à fait tangibles, il existe 5 grandes limites à cet exercice. Celles-ci touchent plus à la nature des RH qu’à une problématique d’algorithme ou de puissance de calcul. Il faut absolument les connaitre avant de se lancer dans un pareil projet.
5 grandes limites à la détection automatique des compétences par l’IA
1/ Les erreurs d'extraction de l’information
Si les mauvaises informations sont extraites la détection de compétences échouera. C’est notamment le cas lorsque l'IA ne parvient pas à bien lire un CV graphique ou en colonne. Il est préférable pour cette raison de privilégier les solutions intégrant du computer vision capable de lire les CV comme un humain le ferait.
2/ La profondeur d'analyse
Contrairement à certaines idées reçues, la création de systèmes permettant d'associer de façon fiable un mot à un référentiel requiert un travail important. Il est donc possible de détecter l'essentiel du langage courant que l'on trouve généralement dans un CV.
Dans le cas des CV experts ou des documents plus complexes, seules des sociétés de niche sauront offrir la granularité attendue.
A titre illustratif, une IA "mainstream" aura le bagage nécessaire pour identifier les synonymes du mot “chimie” mais ne saura identifier une compétence en chimie à partir de termes plus spécifiques tels qu’acrylique ou bromation.
3/ Les compétences "cachées"
Les chances que les compétences que l'on recherche soient toutes exprimées dans un CV sont minces. A fortiori dans un document qui n'est pas destiné à cela.
D'une part, certaines compétences sont implicites. Un plombier sait souder et l'idée de le préciser peut lui paraitre saugrenue.
D'autre part, certaines compétences sont méconnues ou inconnues du principal intéressé. Connait-on vraiment ses qualités d'orateur, de rédacteur, de pédagogue ? A-t-on vraiment conscience que le fait d'avoir avec succès embrassé des sujets très divers, illustre une réelle capacité d’adaptation ?
Certaines compétences sont également tues par modestie ou par auto-censure. Les a priori sociaux dont l'influence sur les individus n'est plus à démontrer peuvent amener quelqu'un à sous-estimer ou bien à taire ses capacités du fait de son genre, de ses origines, de son âge, de son physique ou de sa place dans l'échelle sociale.
4/ Les compétences induites
Certaines compétences ou capacités résultent d'un ensemble de facteurs et leur identification requiert un raisonnement.
La capacité d'abstraction ou d'adaptation, la résilience, la maitrise d'un domaine sont autant d'exemples de compétences et d'aptitudes que l’on peut induire par l'analyse.
Parce que ces informations s’acquièrent au prix d’un effort de synthèse, les IA disponibles sur le marché passent très généralement à côté.
5/ Les skills qui font le buzz
S'il est indéniable que de nouvelles compétences émergent régulièrement, la prolifération que l'on observe dans la "manageosphere" ne relève pas toujours strictement d'une démarche scientifique.
S'agissant de détection de compétences par l'IA cela peut poser un problème dans 2 situations.
a/ La compétence est authentique mais reste absente du référentiel de l'IA et l'on peut passer à côté.
b/ La compétence est factice mais présente dans le référentiel de l'IA et l'on risque de passer à côté de Talents dont le phrasé est insuffisamment "hype".
Ainsi, l’IA est utile dans la détection automatique des compétences mais pas suffisante.
En conclusion, il importe, avant de foncer tête baisser, de comprendre le rôle précis que peut jouer l’intelligence artificielle dans l’inventaire des compétences de l’entreprise.
L’IA et le NLP en particulier peuvent constituer une aide précieuse pour collecter l'information relative aux compétences présentes dans les CV. C’est aussi le cas dans des documents plus complexes, à condition que l'éditeur ait investit le domaine cible au point d'en faire une spécialité.
Néanmoins, l’IA ne saurait à ce stade se substituer à l'analyse et au dialogue. Le principal risque consisterait à trop se reposer sur l'IA. L'humain a encore de beaux jours devant lui !